Friday, November 7, 2014

Manifestation samedi 8 novembre 14h Bastille.
Venons nombreux, masqués ou à visages découverts.
Chargeons et feignons de charger, débordons-les : portons des baskets.

L'horreur policière—

Horreur qui ne date pas d'hier. Des meurtres policiers scandent l’année 2014—le
29 juillet, un homme de 41 ans a été tué par balle par la Police Nationale de
Montgeron—Abdelhak Goradia est mort d'asphyxie le 21 août, sur l'autoroute à
Roissy pendant son expulsion—le 26 août, un jeune homme de 23 ans meurt d'une
balle d'un gendarme sur le A35, lors d'un transfèrement carcéral—etc.
Rémi Fraisse (21 ans) est mort le 26 octobre à Sevins. On s'y mobilisait, depuis
plusieurs mois, contre un projet de barrage promouvant une agriculture industrielle,
projet coûteux qui aurait de lourdes conséquences pour l'écologie de la région.
Sa vie d'opposant aura duré quelques heures ; a 4h de l'après-midi, il arrive dans
la « zone à défendre » (ZAD). Peu avant 3h du matin il est déjà probablement mort.
Vers 2h, Rémi quitte l'ambiance « festival » des chapiteaux de la partie nord-est
de la ZAD. Lui et quelques amis marchent vers la fumée et l'hélicoptère, à deux
kilomètres des festivités.
Ni Rémi ni ses amis n'avaient assisté auparavant à une scène de guerre
comparable—les flics tirent en rafale, grenades offensives, flash-balls, gaz
lacrymogènes, et bombes assourdissantes. Enragé, Rémi Fraisse avance et crie
« Allez, faut y aller. »
Peu de temps après, et sans que ses amis aient pu retrouver son corps, il meurt
d'une grenade offensive à la tête.
Une grenade offensive est une grenade à fragmentation, chargée de morceaux de
caoutchouc au lieu de shrapnel.
Les proches de Rémi Fraisse n'ont ni vu ni récupéré son corps.
Sa mort nous écoeure.
Le coeur souffre mal de parler plus. Nous avons mal au ventre, la main lourde, le
pied lourd. Il est difficile de trouver la force de dire ce que, maintenant, nous avons
à dire :
Que si, d'une part, nous répondons à la mort de cet homme, nous avons aussi le
désir de vivre. Oui, nous voulons vivre, mais nous sommes contraints, pour vivre,
de détourner sans cesse la force policière. Tant qu'elle tue, la police nous interdit de
vivre. Elle nous empêche :
—Nous aurions voulu bâtir sur les terres vides, mais nous sommes entassés dans
nos piaules.
—Nous avons habités des maisons abandonnées, et nous sommes menacés
constamment d'expulsion.
—Un repas ou un spectacle impromptu au couloir d'une université comme d'un
lycée implique nécessairement un affrontement avec des vigiles, et en cas de succès,
des flics.
—Nous nous entraînons à ne plus voir les murs, parce que les messages insensés
qui les achètent au mètre carré ne sont pas les nôtres.
—Les frontières du pays nous emprisonnent, nous empêchent, pendant de
longues années, de voir nos amis et nos proches, nous forcent à choisir entre des

mondes à perdre.
—Nous ne sommes pas chez nous, ni sur les places, ni dans les rues, ni dans les
jardins, et nous sommes toujours à deux doigts d'être virés.
C'est évident, mais répétons-le : la police nous menace constamment. Notre vie
en est marquée.
Si nous allons à l'affrontement contre police, c'est pour nous en abriter, pour
pouvoir vivre, au moins pour quelques heures, sans qu'on nous demande nos
papiers, sans qu'on nous vire, sans qu'on nous tue. Oui, nous nous rassemblons pour
être, pour une fois, en sécurité, pour pouvoir vivre sans menace. Oui, nous
cherchons l'affrontement avec les flics, et nous les mettons en échec pour être en
sécurité ; nous cherchons notre nombre et notre force, nous guettons nos chances,
nous échappons à leur prise, nous gagnons un petit territoire libre, où nous sommes
en sécurité, et où nous vivons sans menace. C'est là le sens d'une manif réussie.
La France n'est pas une exception. Le surarmement policier est un phénomène
international. Chaque Etat du monde se prépare, s'arme, s'entraîne pour une guerre
contre son propre peuple, dont il a de plus en plus peur.
L'Etat perd ses moyens. L'ordre économique sur lequel il se fonde est en train de
s'écrouler. La croissance facile est finie. Même là, où le taux de croissance reste
positif, ce n'est plus que par dépossession, privatisation, par l'intensification de
l'exploitation naturelle et sociale. Il n'y a plus de croissance qui ne pousse le peuple
à la limite de sa survie et qui ne bascule dans l'intolérable.
Là où son peuple est calme, l'Etat assiste avec crainte aux soulèvements et
émeutes chez ses voisins, et se prépare. Et chaque Etat craint son peuple, avant
même que le peuple ne sache qu'il fait peur. Chaque Etat voit : Tottenham en
Angleterre en 2011, Sidi Bouzid en Tunisie 2010-1, Tahrir 2011, Taksim en 2013 et
une nouvelle fois en 2014, Stockholm en 2013, Ferguson aux Etats-Unis en 2014—
chaque Etat en prend acte.
L'Etat est si désespéré qu'il a besoin d'armes qui blessent sa population, parce que
rien d'autre ne suffit à disperser la foule—il est tellement terrifié par sa population
qu'il est obligé de se servir d'armes rudimentaires qui défigurent—il est assez fragile
pour se servir de ces armes de guerre qui pourtant lui donnent mauvaise presse—il
est prêt à mutiler et à défigurer parce qu'il a calculé que le défigurement des visages
de son peuple n'occasionneront pas de soulèvement général. Rémi Fraisse est mort
parce que l'Etat a besoin d'armes de guerre, qui malgré tout fantasme médiatique de
police ultra-moderne restent rudimentaires, et sachons que, si ces armes ne suffisent
pas, il en trouvera d'autres, encore moins modernes—l'Etat qui est prêt à défigurer
et occasionnellement tuer est aussi prêt à tuer tout court—mais il l'est parce qu'il est
fragile.
Manifestation samedi 8 novembre 14h Bastille.
Venons nombreux, masqués ou à visages découverts.
Chargeons et feignons de charger, débordons-les : portons des baskets.

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